En Guinée, de nombreuses jeunes filles et femmes sont victimes de harcèlement (sexuel et/ou moral) en milieu professionnel.
À Conakry, la capitale, qui est un pôle d’attraction pour les chercheurs d’emploi, les responsables d’entreprises ou d’institutions publiques proposent ouvertement des relations intimes à des jeunes filles et femmes en échange d’un emploi. Malheureusement, ce phénomène n’est pas largement connu en raison du silence observé par les victimes elles-mêmes.
Est-ce dû à une méconnaissance du dispositif légal en la matière ? Les raisons peuvent être multiples. Dans tous les cas, nous avons réussi à recueillir les témoignages de certaines victimes dans ce grand reportage. Pour préserver leur anonymat, nous leur avons attribué des noms fictifs.
Le sexe en échange d’un emploi, les mots sont durs ainsi mais oui, c’est une réalité en Guinée. Dans la capitale Conakry, pour celles qui sont belles et qui cèdent aux avances de leurs patrons ou responsables hiérarchiques, obtenir de l’emploi ou gravir vite en échelons n’est pas de la mer à boire. Au contraire, il l’est pour celles qui se rebelles, c’est-à-dire celles qui n’optempèrent pas. C’est le cas d’Élisabeth (ndlr : identité attribuée à la victime).
« L’histoire de chercher de l’emploi à Conakry, ça a été quelque chose de terrible pour moi. J’ai commencé par chercher un stage dans trois entreprises où j’ai été harcelée sexuellement. Suite à cela, j’ai décidé de rester à la maison parce que j’avais maintenant honte de ne pas partir dans une autre entreprise où je vais encore subir la même chose ».
Lassée par loisiveté obligatoire, la jeune fille a réussi à trouver un stage. Mais ce n’est pas celui auquel elle s’attendait à la fin de son cycle universitaire. « Finalement, j’ai trouvé un stage non rémunéré. C’est-à-dire là-où on ne propose rien comme prime de transport pour ne pas que ce dernier aussi me dise qu’il faut que j’accepte de sortir avec lui. Donc aujourd’hui, je suis Assistante programmes dans une ONG », raconte-t-elle.
Nous avons voulu savoir concrètement, comment elle été harcelée au moins une des fois. Au bout d’une très longue diplomatie, elle a consenti à nous le dire en ces termes : « J’étais Assistante RH [Ressources humaines] dans une entreprise. Mon bureau et celui du DG étaient côte à côte. Mon refus persistant à ses nombreuses avances a fait que mon bureau a été délocalisé de l’intérieur à la devanture de la porte. D’Assistante aux RH, j’étais maintenant considérée comme vigile. Je devais introduire les gens dans son bureau. Cela m’a choquée et j’ai choisi de quitter l’entreprise ».
Des expériences comme celle-ci, entretiennent en Élisabeth, la peur des grandes entreprises. « Très honnêtement, je n’ose plus aller dans les grandes entreprises pour chercher du travail. Je me contenterai de ce que je fais actuellement », confirme-t-elle.
À l’image d’Élisabeth, de nombreuses autres jeunes filles victimes de harcèlement en milieu de travail sont à Conakry. Bountouraby, l’une d’entre elles, a accepté de partager son histoire avec nous après plusieurs tentatives infructueuses.
« Moi, le harcèlement dont j’ai été victime, c’était avec le DG [Directeur général] de l’entreprise où je travaillais. C’est lui-même qui m’a contactée. Je ne sais pas s’il avait entendu parler de moi dans le quartier. Il m’a dit qu’il a besoin de mes services. Étant au chômage, nous avons discuté des modalités de collaboration (salaire et disponibilité). Il a dit qu’il n’y a pas de problème. Nous avons commencé à travailler. Il m’avait presque confié la gestion du personnel.
Mais avec le temps, j’ai réellement su qu’il avait quelque chose derrière la tête. Le troisième mois maintenant, il me dit : « je veux vraiment sortir avec toi, toi-même tu vois quand tu es venue, je t’ai donné l’entreprise ». Je lui ai dit que je suis désolée pour ça, je ne suis pas venue ici pour ça ».
Au départ, son Directeur général a gardé la même générosité, celle d’un sugar dady qui sait prendre son temps pour bondir sur sa proie. « J’ai continué à gérer le personnel parce que quand je lui ai dit : non, il m’a dit que ce n’était pas un problème ».
La situation a fini par changer, le jour où elle a annoncé la nouvelle troublante à son DG. « Maintenant, je ne sais pas, quand je me suis fiancée, je lui ai dit : DG bientôt mon mariage. Depuis que je lui ai dit ça, il n’y avait plus de contact entre nous. Il a fait deux mois sans me payer mon salaire. Au troisième mois, j’ai décidé de quitter l’entreprise. Il m’envoyait les messages d’amour, des fois même il m’appelait sur WhatsApp parce qu’il pensait que j’allais changer d’avis. Mais je suis restée ferme sur ma position ».
Devenue entrepreneuse suite au harcèlement en milieu de travail
Ces histoires de harcèlement en milieu de travail ont transformé certaines jeunes filles et femmes en entrepreneuses. Diplômée en comptabilité, Philomène (identité attribuée) est un exemple évocateur. Contrainte de quitter trois entreprises du fait du harcèlement sexuel, elle a créé une agence de communication digitale. « J’ai décidé d’entreprendre pour plusieurs raisons vécues dans des entreprises. J’ai toujours été victime de harcèlement sexuel partout où je suis passée. Ce n’est pas une fois ni deux fois. C’est arrivé jusqu’à trois fois », nous dit-elle.
À travers cette agence, Philomène compte contribuer à l’autonomisation des filles et des femmes pour échapper aux prédateurs sexuels dans les entreprises où institutions publiques et privées. Nous l’avons rencontrée à l’occasion d’une formation gratuite sur l’intelligence artificielle et le marketing digital qu’elle avait organisée à l’attention de 20 jeunes filles et femmes. « Aujourd’hui le numérique est devenu un instrument très important dans la société. C’est un facteur accélérateur de l’égalité des genres. Raisons pour laquelle nous avons organisé cette formation. Ça va leur permettre de devenir autonomes grâce à la maîtrise de l’outil numérique », rassure la jeune entrepreneuse.
C’est cette même voie que conseille (aux jeunes filles et femmes d’emprunter) la présidente du Club des Jeunes Filles Leaders de (CJFLG), Kadiatou KONATÉ. « Si les [filles et les] femmes parviennent à aller vers l’entrepreneuriat, à se former, surtout à développer leurs compétences parce qu’il y a de ces femmes qui se disent je ne vais pas chercher du travail car on va me demander du sexe ; donc, formez-vous ! Tant que vous êtes compétentes, vous aurez du boulot. Vous n’aurez pas besoin d’échanger le sexe pour obtenir un travail », conseille la jeune militante des droits féminins.
Pourquoi les victimes hésitent à dénoncer ?
Dans la réalisation de ce reportage, une question a piqué notre curiosité. Il s’est agi de savoir, pourquoi il y a moins de dénonciations du harcèlement en milieu professionnel ? Chez les victimes interviewées, les réponses convergent. Comme pour le cas des autres violences faites aux femmes dont le viol, les pesanteurs socioculturelles (qui se manifestent généralement par le poids de la famille) viennent au premier niveau. Au second niveau, il y a que le phénomène tent vers sa normalisation dans la société guinéenne. C’est ce que nous avons pu comprendre dans la réponse donnée par Philomène (à cette question). « Mon père m’avait interdit de parler de ça. Personnellement, je lui ai dit que je voulais poursuivre les gens qui m’ont fait ça. Il m’a fait comprendre que ça existe un peu partout dans les entreprises et même dans l’administration publique. C’est ce qui m’a découragée », explique-t-elle se disant très heureux d’avoir reçu notre équipe de reportage autour du sujet.
Élisabeth, l’autre victime, estime que la dénonciation ne résout pas le problème car les chefs d’entreprises influencent même l’appareil judiciaire. « Qu’on dénonce ou pas, si quelqu’un a étudié en Sorbone, il vient mettre son entreprise en place, tu vas dénoncer où ? Ou bien est-ce que quand tu dénonces ils vont prendre la latitude de fermer son entreprise ? Jamais. Donc moi je me dis que dénoncer là, ça nous envoie nulle part ! », suppose-t-elle.
Et quand nous lui demandons si elle sait que le harcèlement en milieu professionnel est puni par le code pénal guinéen, voici comment elle a réagi : « Ah bon ? Mais je n’ai jamais appris qu’on a licencié un Directeur ou suspendu un ministre pour cela ! »
Pour la Directrice exécutive du Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée, ce sont ces différents problèmes qu’il faille résoudre pour que la parole des victimes de harcèlement en milieu professionnel soit libérée. « Est-ce que si je brise la parole, j’aurai de l’aide ? Est-ce que je vais gagner mon procès par exemple ? Et pour même engager un procès, tu as besoin d’avocats ! Et, ça demande des coûts. Et vous imaginez quand je perds mon boulot après je me retrouve dans une situation très difficile. En réalité, ce sont ces peurs-là qui existent chez les femmes. Donc, la dénonciation est un problème en soi mais, au-delà, il faut permettre à ces femmes, quand elles dénoncent, d’obtenir toute l’aide nécessaire pour obtenir justice ».
Heureusement qu’en Guinée, il y a une structure qui répond à toutes les interrogations soulevés par la Directrice du CJFLG. Il s’agit de l’ONG Les Mêmes Droits pour Tous, MDT. Depuis six ans, MDT œuvre dans l’accompagnement juridique et judiciaire des victimes de Violences basées sur le genre (VBG) comme le harcèlement dont certains dossiers sont encore en instance de jugement dans les tribunaux de premier niveau à Conakry, selon son Coordinateur, Adrien Tossa MONTCHON. « On a une procédure actuellement devant le Tribunal de première instance de Mafanco où c’est une dame, en milieu professionnel, fait l’objet de harcèlement qui a eu à entendre parler de l’ONG Les Mêmes Droits pour Tous. Il y a d’autres que nous n’avons pas portés à la place publique sur demande des victimes. Ce qui veut dire que les victimes de harcèlement sexuel [et ou moral] en milieu professionnel, peuvent lorsqu’elles le désirent, bien bénéficier de l’accompagnement d’organisation de défense des droits de l’Homme comme l’ONG Les Mêmes Droits pour Tous. Il n’y a pas de frais d’avocats ou autres (frais liés à la procédure) à payer par les victimes ».
Ce que dit la loi
Les harcèlements (sexuel et moral) sont des infractions prévues et punies par le code pénal guinéen. Traitant du harcèlement sexuel, l’article 277 de cet instrument juridique stipule, je cite : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Fin de citation. Pour ce niveau de l’infraction, les peines vont de 3 mois à deux ans et d’une amende de 500 mille à deux millions de francs guinéens selon les cas.
De son côté, l’article 278 définit le harcèlement moral comme étant « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Pour ce second niveau de l’infraction, la peine d’emprisonnement va « de 6 mois à 2 ans » avec une amendé allant « de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéens »
L’article 279 de la même loi renforce le dispositif légal autour du harcèlement comme suit : « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni des peines portées à l’article précédent lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 5.000.000 de francs guinéens :
1°. lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours;
2°. lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de moins de 18 ans
3°. lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge
à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de
grossesse, est apparente ou connue de leur auteur;
4°. lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis d’un emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 5.000.000 de francs guinéens lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4° ».
À date, la République de Guinée n’a pas encore ratifié la Convention 190 portant sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. La ratification et l’entrée en vigueur de cet instrument juridique international devrait consolider cet acquis juridiques relatifs (au harcèlement en milieu de travail) niveau national.
Saa Joseph KADOUNO