Les années 2019 et 2020 ont été des années charnières sur le plan politique en Afrique de l’Ouest. Dix sur 15 États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont connu des élections (présidentielles, législatives et locales) appelant les citoyens à choisir leurs futurs dirigeants mais aussi à participer aux processus de consolidation de la démocratie dans leurs pays respectifs. Il est important de signaler que nombreuses sont ces élections qui ont été organisées sur fond de contestations liées soit aux fichiers électoraux non-consensuels, soit à une situation ayant causé l’exclusion d’une partie de l’opposition. Les élections tenues en 2020 se seront déroulées dans un contexte de grande insécurité dans certains pays et de crise sanitaire due au COVID-19.
Ces situations ont affecté la bonne conduite des élections dans certains cas, empêchant ainsi certains citoyens (surtout les femmes) de participer activement et pleinement aux processus électoraux. Ce fut le cas par exemple au Burkina Faso, au Mali et au Niger où la participation des femmes aux élections a été entravée par l’insécurité dans les zones qui font l’objet des attaques des groupes armés. Selon la Commission électorale du Burkina Faso, près de 3 000 bureaux de vote n’ont pas pu être ouverts lors des élections présidentielles d’octobre 2020, empêchant environ 350 000 personnes de voter.
La CEDEAO, en tant qu’institution sous-régionale, s’est investie pour qu’il y ait des élections crédibles et transparentes pour assurer des transitions politiques apaisées dans ses États membres. Elle s’implique dans les processus électoraux en Afrique de l’Ouest sur la base de l’article 12 de son Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Durant les dix dernières années, les missions d’observation électorale, y compris celles de la CEDEAO, font l’objet de beaucoup de critiques. Certains leur reprochent une « inhabilité » à assurer des élections crédibles, transparentes et apaisées dans les pays où elles sont déployées. Pour le cas spécifique de la CEDEAO, certains citoyens de la région estiment que ses missions se sont avérées incapables à prévenir les violences électorales qui ont caractérisé les élections dans plusieurs pays de l’espace CEDEAO ces dernières années. Certains l’accusent d’incapacité à gérer certaines réclamations des partis politiques de l’opposition, tandis que d’autres déplorent que ses missions refusent de restituer fidèlement les résultats de leurs observations. Beaucoup de citoyens de la région croient qu’elle pourrait mieux fait pour éviter certaines violences électorales qu’ont connu certains pays de la région en 2020.
Analysons tout cela de façon critique. L’article 13 du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance indique clairement le rôle que devrait jouer la mission d’observation de la CEDEAO lors d’un processus électoral dans un État membre afin de contribuer à un environnement paisible et transparent. Par ailleurs, il a été constaté que la question du fichier électoral était au centre des préoccupations pour les partis d’opposition durant les élections passées dans un certain nombre de pays. Les partis politiques de l’opposition dans des pays comme la Guinée et le Ghana ont dénoncé les fichiers électoraux devant servir pour organiser leurs scrutins. Il est vrai que la CEDEAO a fourni des efforts pour assainir le fichier électoral en Guinée, mais ceux-ci n’ont pas abouti aux résultats escomptés, selon certains acteurs politiques du pays. De l’autre côté, une partie de l’opposition s’est vu exclue du processus électoral en Côte d’Ivoire et au Niger où des figures emblématiques de l’opposition ont été écartées du processus électoral.
Partant de ces faits, il est possible de dire que la CEDEAO était en mesure de prévenir des situations de violence en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Ghana où il y a eu des violences qui ont entrainé des morts d’hommes et des dégâts matériels importants aux lendemains des élections passées. Ces dix dernières années, certains citoyens pensent que c’est toujours les mêmes déclarations et les mêmes résultats d’observation qui proviennent des missions d’observation de la CEDEAO. Apparemment, il y a un manque de suivi de la part des missions d’observation pour les recommandations formulées pour améliorer les futures élections dans la région. C’est pourquoi d’ailleurs, beaucoup remettent en cause la raison d’être de ces missions d’observation.
L’année 2021 s’annonce aussi décisive sur le plan politique pour la CEDEAO. Deux de ses États membres, à savoir le Bénin et la Gambie, organisent des élections présidentielles, en avril et décembre respectivement. Au Bénin, l’introduction, en 2019 du parrainage comme condition sine-qua non pour y participer à l’élection présidentielle, continue de diviser les acteurs politiques du pays. Cette disposition constitutionnelle (le parrainage ) prévoie que toute personne voulant se présenter à cette élection doit forcément obtenir le parrainage de 16 élus soit du côté des maires ou bien du côté des députés. Et pourtant, l’environnement politique actuelle du pays ne permet pas aux partis politiques de l’opposition de remplir cette conditionnalité. C’est pourquoi, beaucoup d’observateurs pensent que, cette affaire du parrainage tel qu’il se présente maintenant, va rétrécir l’espace pour une participation politique inclusive lors de la prochaine élection présidentielle . On peut dire que les tensions et désaccords entre le parti au pouvoir et ses alliés, d’une part, et les partis politiques de l’opposition, d’autre part, sont les résultats de ces réformes politiques jugées « discriminatoires » par ces partis de l’opposition.
Pour ce qui concerne la Gambie, les désaccords inter et intra-partis politiques continuent de générer des tensions, des protestations et de la violence. Avant les élections présidentielles de décembre 2021, les préoccupations croissantes tournent autour du projet de Constitution et des réformes électorales à entreprendre. Par exemple, un point de friction autour du projet de Constitution concerne une clause qui vise à empêcher l’actuel président de remettre les compteurs à zéro pour se rendre éligible à deux mandats supplémentaires. En outre, la proposition de la Commission électorale de remplacer le système de vote – des billes aux bulletins de vote – suscite des réactions mitigées de la part des partis politique d’opposition et une partie de la société civile.
Eu égard à ces risques, la CEDEAO se doit de prendre les décisions idoines pour appliquer les dispositions pertinentes du Protocole additionnel et encourager ses États membres engagés dans des processus électoraux de travailler avec l’ensemble des acteurs concernés pour assurer des élections paisibles, transparentes et crédibles.
Par ANSOUMANE SAMASSY SOUARE
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